La Conseillère Malveillante
Céline entra dans le bureau du directeur de l’entreprise où elle travaillait depuis près de deux ans.
L’homme d’une cinquantaine d’années lui jeta à peine un regard avant de se plonger dans les dossiers posés sur son bureau.
« Monsieur Delacroix, pourquoi m’avez-vous licenciée ? » demanda-t-elle d’une voix tremblante d’émotion.
« Pas seulement vous. La société traverse des difficultés, nous sommes au bord de la faillite », répondit le directeur en fronçant les sourcils. Ces derniers jours, on lui avait posé la même question à maintes reprises, parfois même sous la menace.
« Mais vous n’êtes pas encore en faillite, n’est-ce pas ? »
« Non, mais nos revenus ont chuté brutalement. Pour éviter des réductions de salaire générales, nous avons dû supprimer certains postes. Trouvez-vous plus juste que j’aie licencié des mères célibataires ou des femmes avec enfants à charge ? D’autant que vous aviez été recrutée en CDD pour remplacer une collègue en congé maternité. D’autres questions ? »
« Vous ne pouviez vraiment rien me proposer d’autre ? » murmura Céline d’une voix brisée.
« Je vous l’ai dit, nous sommes presque ruinés. Rien de personnel. » Le directeur se replongea dans ses dossiers, signifiant clairement que la discussion était terminée.
Deux semaines plus tard, Céline parcourait les offres d’emploi. Elle avait envoyé son CV partout, obtenu quelques entretiens, mais sans succès. Les employeurs trouvaient son expérience insuffisante ou promettaient de la rappeler… pour ne jamais le faire. Ses économies s’amenuisaient, le loyer de son appartement parisien allait bientôt être dû, et toujours pas de travail en vue.
Alors qu’elle commençait à désespérer, une nouvelle annonce attira son regard. Elle appela aussitôt le numéro indiqué.
« Pouvez-vous venir à onze heures ? » demanda une voix féminine sans inflexion.
« Aujourd’hui ? Oui ! » s’exclama Céline, soulagée.
« Notez l’adresse… »
En consultant son plan, Céline eut un choc. L’entreprise était située loin de son domicile, et il ne lui restait qu’une heure. Elle regretta d’avoir accepté si vite, mais il fallait tenter sa chance.
Elle s’habilla en hâte et sortit sous la pluie battante. Obligée de revenir chercher son parapluie, elle maudit chaque seconde perdue. Arrivée à l’arrêt de bus, une vieille dame lui apprit qu’il venait juste de partir. Tout semblait se liguer contre elle. Tremblante, elle leva la main au bord du trottoir, espérant un taxi.
Les voitures passaient, l’éclaboussant. Enfin, une Peugeot argentée s’arrêta. Le conducteur baissa sa vitre.
« Où allez-vous ? »
Céline s’installa à côté de lui et lui donna l’adresse.
« C’est loin », grogna-t-il.
« S’il vous plaît, j’ai un entretien urgent », implora-t-elle.
« D’accord, mais ne me poussez pas », grommela-t-il en évitant un feu rouge.
Ils arrivèrent avec trois minutes d’avance.
« Bonne chance ! » lança-t-il dans son dos.
Céline entra, essoufflée mais ponctuelle.
« Vous êtes à l’heure. C’est bien. On sent que vous avez vraiment besoin de ce poste », remarqua la recruteuse en costume strict.
« Plus que tout ! » répondit Céline avec ferveur.
Une demi-heure plus tard, elle ressortait, rayonnante, et aperçut avec surprise la voiture qui l’avait conduite. Rouge de honte, elle se rappela qu’elle avait oublié de payer.
« Pardon, j’étais tellement pressée… »
« Inutile. J’ai attendu pour savoir si c’était positif. À voir votre sourire, je devine que oui ? »
« Oui ! J’ai le job », sourit-elle, reconnaissante.
« Ça se fête. Déjeunez avec moi ? »
Céline hésita, mais comment refuser ? Sans lui, elle n’aurait pas réussi.
« D’accord. Vous portez vraiment bonheur », dit-elle en montant dans la voiture.
Elle le regarda enfin attentivement. Grand, élégant, avec un regard perçant.
C’est ainsi que commença leur histoire. Deux mois plus tard, elle emménageait chez Mathieu. Six mois après, ils se mariaient. L’appartement appartenait à un ami expatrié, mais ils rêvaient d’acheter le leur grâce à un prêt avantageux pour jeunes mariés. Mathieu cumulait les missions pour rembourser plus vite.
Ils reportèrent les projets d’enfant. Céline avait grandi dans une famille nombreuse, portant les vieux vêtements de ses aînés. Elle jura que ses enfants n’en souffriraient jamais. À vingt-cinq ans, elle avait le temps. D’abord la stabilité, ensuite le bonheur.
Au bureau, elle se lia d’amitié avec Élodie, une collègue stylée, qui paraissait bien plus jeune que ses quarante-deux ans. Peu avant Noël, Élodie lui demanda :
« Vous fêtez comment, cette année ? »
« Chez nous. Avec le crédit, on économise. »
« Moi aussi, seule », soupira Élodie.
« Vos parents ? Désolée si c’est indiscret. »
« Ma mère… C’est compliqué. »
Touchée, Céline l’invita à les rejoindre.
Mathieu accepta sans rechigner.
Élodie arriva en robe chic, avec du champagne, des fruits et du foie gras. La soirée fut joyeuse, Mathieu s’étant donné à fond pour les distraire. À l’aube, il raccompagna Élodie.
Mais après les fêtes, Mathieu changea. Il prenait ses appels dans la salle de bains, gardait son téléphone constamment sur lui. Épuisé par le travail, il dormait tout le temps. Leurs moments intimes se raréfièrent.
Les doutes s’immiscèrent dans l’esprit de Céline. Mathieu était séduisant… Et si une autre le lui volait ?
« Tu as un problème ? » lui demanda un jour Élodie, devenue proche.
Céline se confia.
« Tu t’es relâchée. Un homme aime conquérir. S’il n’a plus à te séduire, il cherche ailleurs. Fais-le jalouser. Change de coupe, souris mystérieusement… Je t’appellerai le soir, tu t’enfermeras pour parler. Qu’il s’inquiète. »
Céline s’essaya au jeu : cheveux teints, air énigmatique. Un soir, Élodie l’appela.
« Qui t’a appelée ? Pourquoi tu te caches ? » s’emporta Mathieu.
« Je pourrais te poser la même question ! »
La dispute éclata, violente. Ils dormirent séparément.
La nuit, Céline vérifia le téléphone de Mathieu. Stupéfaite, elle découvrit des messages d’Élodie. Tout s’éclairait : après le réveillon, celle-ci avait menti à Mathieu, prétendant que Céline flirtait au bureau. Puis elle avait poussé Céline à jouer les inaccessibles, semant la zizanie.
Son but ? Récupérer Mathieu.
Le matin, Céline affronta son mari.
« C’est Élodie qui t’a monté contre moi ? »
Il reconnut tout, abasourdi.
« Elle a quarante-deux ans et un fils de quinze ans », révéla Céline. « Tu le savais ? »
Ils se réconcilièrent. Élodie démissionna sous la pression des collègues, mis au courant de ses manigances.
Céline et Mathieu s’envolèrent en vacances, comme une seconde lune de miel.Ils revinrent de leur escapade plus amoureux que jamais, et quelques semaines plus tard, Céline découvrit avec joie qu’elle portait leur premier enfant.