**L’Époux Économe**
Élodie rencontra Hugo à vingt-huit ans. Jolie, mince, elle n’avait jamais manqué d’hommes, mais aucune relation sérieuse n’avait duré. À la faculté, elle ne s’était pas précipitée comme les autres. Puis, une fois en poste, les hommes autour d’elle étaient soit mariés, soit pris. Alors, elle s’était concentrée sur sa carrière.
« La vie va passer, tu n’es plus une enfant. Une carrière, c’est bien, mais ne néglige pas ta vie sentimentale », lui répétait sa mère.
« Maman, tu veux que j’épouse le premier venu pour divorcer dans six mois ? Au moins, personne ne me demandera quand je me marie ! » rétorquait Élodie, agacée.
Le matin, dans le bus bondé, un homme lui céda sa place. Elle lui sourit, reconnaissante. Deux jours plus tard, ils se reconnurent, échangèrent un regard complice. Ils ne purent se parler—il descendit avant elle.
Un soir, en rentrant, elle l’aperçut à l’arrêt, scrutant les passagers. Instinctivement, elle comprit qu’il l’attendait et descendit.
Ainsi commença leur histoire. Avec Hugo, tout était simple. Était-ce de l’amour ? Non, pas vraiment. Elle sortait avec lui pour faire taire les remarques de sa mère. Mais peu à peu, elle s’attacha à lui. Ses absences la rendaient nerveuse, nostalgique.
Il ne lui offrait jamais de roses, juste de petits bouquets champêtres. C’était touchant. Deux mois plus tard, il la demanda en mariage.
Élodie hésita. Trop tôt. Mais refuser signifiait rester seule. Et puis, elle finirait bien par se marier un jour… Alors, pourquoi pas Hugo ?
Elle l’invita chez sa mère, qui fronça les sourcils après son départ.
« Qu’est-ce qui ne va pas maintenant ? » s’impatienta Élodie.
« Un homme de son âge qui vit encore avec sa mère ? Pas d’appartement, pas de voiture… Où vivrez-vous ? »
« On louera. Tu voulais que je me marie, et maintenant tu chipotes ! Les hommes stables sont déjà pris. On aura tout plus tard : appart, voiture, enfants… Désolée s’il n’est pas ton prince charmant. »
Ils signèrent à la mairie et préparèrent le mariage. Peu d’invités, une salle intimiste. Élodie et sa mère cherchèrent la robe parfaite. Un modèle la subjugua—ajusté, élégant. Cher, mais elle l’acheta sans hésiter.
Hugo, lui, cherchait un logement. Il en proposa deux, minuscules et excentrés, mais bon marché.
« On étouffera à deux ! Et les invités ? Sans parler des trajets interminables ! »
« Choisis toi-même, alors », bougonna-t-il.
Elle opta pour un bel appartement près de son travail, bien rénové.
« Alors, vous prenez ? » demanda la propriétaire.
« Non, trop cher », répondit Hugo.
Dehors, ils s’engueulèrent. Lui voyait un gaspillage ; elle, un investissement pour leur confort. Ils se quittèrent froidement. Chez elle, Élodie pleura.
« Tu es fatiguée par les préparatifs. Peut-être qu’il a grandi dans la frugalité. »
« Chez eux, tout est neuf ! Sa mère a un manteau en vison, des bottes en cuir… Mais sur nous, il économise. Regarde cette bague ! » Elle tendit sa main.
« Elle te plaisait ! »
« Plus maintenant. S’il commence ainsi, comment sera la suite ? » sanglotait-elle.
Le lendemain, Hugo arriva avec des fleurs, s’excusa, et annonça avoir loué l’appartement. Soulagée, elle l’embrassa.
Le mariage fut joyeux. Les invités donnèrent de l’argent—les jeunes n’avaient pas encore de chez eux.
Le lendemain, la belle-mère débarqua, admira le logement.
« Quelle chance d’avoir trouvé ça à si bon prix ! »
Élodie lança un regard interrogateur à Hugo. Il cligna des yeux : « Tais-toi. »
« Tu ne lui as pas dit le vrai loyer ? »
« Pourquoi l’inquiéter ? Elle est contente comme ça. »
Un an plus tard, Élodie tomba enceinte. Elle annonça la nouvelle, rayonnante.
« Tu es sûre ? » demanda Hugo.
« Tu n’es pas heureux ? »
« Je pensais qu’on attendrait encore… Je voulais prendre un crédit pour une voiture. Avec le loyer et maintenant un bébé… »
« Je ne ferai pas une IVR pour ta voiture ! »
Il se rattrapa, l’enlaça. Mais le doute s’installa.
Plus tard, elle acheta une petite tenue blanche pour le bébé.
« Regarde, c’est trop mignon ! »
« C’est un peu tôt, non ? Et ça coûte un bras… »
Au troisième trimestre, les contractions commencèrent à l’aube. Hugo appela les urgences. À la clinique, elle lui demanda d’acheter un body bleu pour la sortie.
Quand il la récupéra avec leur fils, elle remarqua une autre tenue—usagée. Elle se tut.
« Pourquoi tu conduis ? Où sont nos mères ? »
« Elles prennent un taxi. Cette voiture ? Un collègue la vendait, j’ai sauté sur l’occasion. Super, non ? »
À la maison, elle découvrit le pire : un berceau d’occasion, une poussette défraîchie, des vêtements de seconde main.
« Tes collègues t’ont tout donné ? » murmura-t-elle, écœurée.
« Tout coûte une fortune ! Ma mère a tout lavé. Le bébé s’en fiche ! »
Elle claqua la porte du placard.
Les mamans entrèrent, s’extasiant.
« Il s’appelle comment ? »
« Gabriel », dit Hugo.
« Non, Lucien. Comme mon père. »
Le bébé pleura. Elle le changea—ses fesses étaient irritées par les couches bas de gamme.
« Va acheter celles que j’ai choisies. »
« Maintenant ? »
« Ou je m’en charge. »
La dispute éclata.
« Tu as tout pris d’occasion, sauf ta voiture ! T’es radin ! Je jette tout demain. »
« Ma mère sera blessée. »
« Ah, c’est elle ? Elle porte aussi des manteaux d’occasion ? Tu m’offres des fleurs cheap par avarice, pas par goût ! »
Ils ne parlèrent plus de la soirée. Le lendemain, sa mère vint la réconforter.
« Tu ne vas pas le quitter pour ça ? »
« Ce n’est qu’un début. Il économisera sur tout : école, jouets… Notre fils deviendra quoi ? Un envieux ? On ne change pas un homme pareil. »
Elle resta. Deux ans plus tard, il refusa de lui acheter une robe pour sa reprise du travail.
« Perds du poids, ton placard est plein. »
Ce fut la goutte d’eau.
Elle divorça, rencontra Antoine, généreux, qui gâtait son fils.
« Tu le gâtes trop », disait-elle, habituée à l’avarice.
« On ne gâte jamais trop avec de l’amour. »
Un jour, au parc, elle croisa Hugo avec une femme—un modeste bouquet à la main. Il rougit, elle sourit.
Aucun regret. Un avare reste un avare. Il économiserait toujours—sur les fleurs, sur l’amour.
Peut-être avait-il trouvé une âme sœur… prête à se contenter de pissenlits.