L’homme économe

**Journal intime : L’homme économe**

J’ai rencontré Romain à vingt-huit ans. J’avais tout pour plaire—une silhouette mince, un joli visage—mais aucune relation sérieuse n’avait duré. À la fac, je ne me pressais pas de me marier comme certaines, pensant avoir du temps. Puis, au travail, les hommes étaient soit pris, soit mariés. Alors, je me suis concentrée sur ma carrière.

*”La vie va te passer sous le nez. Une carrière, c’est bien, mais ne néglige pas ta vie sentimentale,”* me répétait maman.

*”Tu veux que j’épouse le premier venu pour divorcer ensuite ? Au moins, personne ne me demandera quand je me marierai,”* rétorquais-je, agacée.

Un matin, dans le bus bondé, un garçon m’a cédé sa place. Je lui ai souri. Deux jours plus tard, nous nous sommes reconnus, échangeant un regard complice. Il est descendu avant moi.

Un soir, en rentrant, je l’ai vu à l’arrêt, scrutant les passagers. J’ai su qu’il me cherchait. Je suis descendue. C’est ainsi que nous nous sommes connus.

Avec Romain, c’était simple. Étais-je amoureuse ? Pas vraiment au début. Je sortais avec lui pour que maman me lâche. Pourtant, son absence me pesait. Il m’offrait des petits bouquets champêtres, pas des roses sophistiquées. Deux mois plus tard, il a proposé.

J’ai hésité. Trop vite. Mais refuser signifiait rester seule. Alors, pourquoi pas lui ?

Maman n’a pas été conquise. *”Il vit encore chez sa mère, pas d’appartement, pas de voiture. Où allez-vous habiter ?”*

*”On louera. Tu voulais que je me marie, et maintenant, tu chipotes ! Les hommes stables sont soit mariés, soit divorcés. On aura tout plus tard.”*

Nous avons fixé la date. Pour la robe, j’ai craqué sur une magnifique, ajustée à moi, chère mais irrésistible. Romain, lui, cherchait un logement. Il a proposé deux minuscules appartements en banlieue, quasi gratuits.

*”C’est trop petit ! Et les trajets, c’est l’enfer.”*

*”Alors, choisis toi-même,”* a-t-il bougonné.

J’ai opté pour un bel appartement près de mon travail, bien équipé.

*”Trop cher,”* a-t-il dit devant la propriétaire.

Dehors, la dispute a éclaté. Lui voyait le prix, moi le confort. Nous nous sommes quittés fiers.

Le lendemain, il est venu s’excuser, fleurs à la main. Il avait loué l’appartement que j’aimais. Soulagée, je l’ai pardonné.

Le mariage fut joyeux. Les invités ont généreusement donné de l’argent. Le lendemain, ma belle-mère est venue, admirant *”cet appartement si chic pour si peu.”*

*”Tu ne lui as pas dit le vrai loyer ?”* ai-je demandé après.

*”Pourquoi l’inquiéter ? Elle a toujours peur du gaspillage.”*

Un an plus tard, j’étais enceinte. Romain a semblé déçu. *”Je pensais qu’on attendrait. Je voulais un crédit pour une voiture…”*

*”Tu préfères que j’avorte pour ta bagnole ?”*

Il s’est rattrapé, mais le malaise persistait.

À l’échographie, j’ai découvert que c’était un garçon. Romain a raccroché sèchement. *”Je ne peux pas parler.”*

Le jour de l’accouchement, j’ai insisté pour le bleuet de baptême que nous avions choisi. En sortant de la maternité, j’ai découvert une voiture d’occasion achetée en secret.

À la maison, le choc : un berceau usagé, une poussette démodée, des vêtements de seconde main.

*”C’est les collègues qui ont donné,”* a-t-il dit.

Faire des économies sur notre fils ? J’ai explosé. *”Tu préfères une voiture à son confort ? Demain, je jette tout ça.”*

Il a avoué : c’était sa mère. *”Elle trouve ça stupide de dépenser pour un bébé.”*

Notre couple n’a pas survécu. Deux ans plus tard, j’ai quitté Romain quand il a refusé de m’acheter une robe pour reprendre le travail. *”Perds du poids, tu as déjà assez de vêtements.”*

Un an après, j’ai rencontré quelqu’un d’autre. Il m’offrait des roses, gâtait mon fils. *”Tu vas le gâter,”* disais-je, habituée à la radinerie.

*”On ne gâte jamais trop avec de l’amour,”* répondait-il.

Un jour, j’ai croisé Romain avec une nouvelle compagne. Elle tenait un modeste bouquet, comme autrefois. J’ai souri. Je ne regrettais rien. Un radin reste un radin. Il économe sur tout, même sur l’amour.

Peut-être a-t-il trouvé une âme sœur prête à se contenter de pissenlits…

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L’homme économe
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