Le Chantage
Les fêtes de Noël venaient à peine de se terminer qu’un autre événement approchait déjà—l’anniversaire de leur père. Un anniversaire spécial, celui des cinquante ans. Encore fallait-il trouver le cadeau idéal. Mais quoi offrir ?
Pour éviter de tourner en rond, la cadette, Amélie, décida de demander directement à leur mère.
— Et si on lui offrait une nouvelle télévision ?
— Mais non, ma chérie ! Pas question. La nôtre est presque neuve. Ne gaspillez pas votre argent. Nous avons tout ce qu’il nous faut. Gardez-le pour vous, les jeunes en ont davantage besoin.
Aucune aide de ce côté-là. Les sœurs se réunirent pour discuter. L’idée la plus simple était de se cotiser pour quelque chose d’exceptionnel, un luxe que leurs parents ne s’offriraient jamais. Restait à déterminer quoi.
Louis, le mari de Margaux, l’aînée, suggéra d’acheter un séjour en bord de mer pour leur mère et leur père.
— Ils n’iront jamais, coupa Margaux. Papa fera tout pour rembourser les billets. Tu te souviens de sa réaction quand nous avions parlé de nos vacances en Grèce ? Pour eux, le vrai bonheur, c’est la maison de campagne. Ils en rêvent dès janvier. Non, il faut trouver autre chose.
— Et si on leur offrait des meubles ? Ou un rafraîchissement de leur appartement ? proposa Amélie.
— Tu imagines la scène ? rétorqua Margaux. “Papa, c’est ton cadeau, mais on le fera cet été pendant que vous serez à la campagne.” Cela n’a aucun sens. Non, il nous faut un vrai présent.
Amélie rapporta les réticences de leur mère.
— J’ai obtenu la même réponse, soupira Margaux. Ils ne veulent rien. On pourrait peut-être se contenter d’un cadeau plus classique ?
— Si on n’a pas mieux, grimace Amélie.
La discussion dura longtemps, sans aboutir.
— Dans ce cas, que chacun fasse selon ses moyens, conclut Antoine, le mari d’Amélie.
Ce dernier détestait faire les magasins. À chaque occasion, il offrait des bijoux ou du parfum à sa femme, selon l’importance de la fête. Amélie comprit qu’elle devrait s’occuper seule du cadeau.
Trois semaines avant l’anniversaire, elle arpentait les boutiques tous les jours, cherchant l’inspiration. Le soir, elle en discutait avec Antoine, qui acquiesçait à tout pour éviter de s’impliquer. Comment choisir ainsi ? Elle tournait en rond, trouvait des idées, mais doutait toujours.
Un jour, dans une petite échoppe, elle aperçut une pendule murale. Elle ressemblait étrangement à celle qui avait autrefois trôné dans le salon familial. Celle que leur père chérissait tant, héritée de leur grand-père.
Amélie se souvenait du tic-tac insupportable, des coups sourds qui précédaient chaque heure, comme si le mécanisme s’éclaircissait la gorge.
Elles avaient même caché la clé pour empêcher leur père de la remonter. Mais il avait déniché un double au marché aux puces.
Margaux, exaspérée, l’avait finalement brisée. Leur père avait soupçonné ses filles, mais elles avaient juré n’y être pour rien—la vieille pendule, d’époque, avait rendu l’âme.
Il l’avait fait réparer, mais elle retardait désormais, grinçait sans jamais sonner. Pire encore. Puis elle s’était arrêtée pour de bon. Pourtant, leur père avait refusé de la décrocher. Ce n’est qu’après des années, lors d’un déménagement, qu’elle avait fini à la campagne, où elle était tombée en poussière.
Amélie questionna le vendeur. La pendule était précise, disait-il, mais muette. Parfait. Elle eut un élan d’enthousiasme et décida de l’acheter. Ce ne serait pas celle du grand-père, mais leur père serait touché qu’elle s’en souvienne.
L’objet était coûteux et lourd. Elle demanda au vendeur de le réserver—elle reviendrait demain avec Antoine.
— Ne vous inquiétez pas, elle ne trouvera pas preneur, la rassura-t-il. Ces pièces ne sont plus à la mode.
Ravie, Amélie sortit. Enfin, une idée ! Elle méritait bien une pause. Un café, pas loin, attira son regard. Elle entra, cherchant une table, et vit Louis avec Margaux.
Elle faillit les rejoindre avant de réaliser son erreur—ce n’était pas sa sœur, bien qu’elle lui ressemblât étrangement. Même style—un col roulé élégant, un collier de perles, des pantalons amples.
Les cheveux aussi, sombres et légèrement bouclés, bien que peut-être plus courts. Les yeux, en revanche, étaient gris, et non noisette comme ceux de Margaux.
Mais c’était bien Louis, assis en face d’elle.
Leur échange, leurs sourires, la façon dont il lui serrait la main—Amélie comprit aussitôt.
Elle se glissa derrière un client et les observa, sortit discrètement son téléphone et prit une photo au moment où la jeune femme se levait. Louis tourna la tête—parfaitement identifiable.
Elle s’enfuit avant qu’il ne la remarque.
Louis, toujours si charmant, si sûr de lui. Elle n’avait jamais vraiment aimé cet excès de perfection. Et voilà.
En contraste, Antoine, maladroit mais franc, lui plaisait davantage.
Elle attendit dehors, grelottante. Quinze minutes plus tard, le couple sortit. Louis ouvrit la portière de sa voiture pour sa compagne et jeta un regard circulaire.
Amélie monta dans le premier bus, sans réaliser qu’il ne la ramènerait pas chez elle. Mais il passait près de chez Margaux. Comme un signe.
— Quelle bonne surprise ! s’exclama Margaux. Viens, j’ai tout préparé. Louis va bientôt rentrer. Tu dînes avec nous ?
— J’étais dans le quartier… Avez-vous trouvé un cadeau pour papa ?
— Oui ! Margaux lui montra des photos d’un vélo flambant neuf. Le vieux, cassé, datait aussi de leur grand-père.
— Bravo, murmura Amélie, envieuse de ne pas y avoir pensé. Moi, je cherche encore…
— Qu’est-ce que tu cherches ? lança Louis depuis l’entrée.
Le dîner fut tendu. Louis ne cessait de l’observer, et Amélie rougissait sous son regard. Avait-il remarqué sa présence au café ? Elle s’esquiva rapidement.
— Je te raccompagne.
Dans le couloir, il l’attrapa par le bras.
— Tu m’as espionné ?
— Je ne sais pas de quoi tu parles.
— Si tu dis un mot à Margaux…
— Qu’est-ce que vous manigancez ? fit Margaux en apparaissant.
Amélie bafouilla une excuse et s’enfuit.
Dans le bus, un message de Louis : Rendez-vous demain, 17h.
Elle accepta. Il voudrait la persuader de se taire.
Le lendemain, il joua d’abord l’indifférence, puis passa aux menaces.
— Tu raconteras aussi notre rencontre à Margaux ? Tu veux qu’elle croie que c’est toi que je courtise ?
— D’accord, concéda-t-elle. Je dois y aller.
— Attends. Il s’approcha, effleura ses lèvres. Des miettes.
Elle se détourna.
— J’espère que nous nous comprenons.
À la maison, un nouveau message. Une photo—son doigt sur sa bouche. Et une menace : Si tu parles, je l’envoie à Antoine. Qui croira-t-il ?
Amélie acheta la pendule le lendemain.
À l’anniversaire, Louis lui adressAmélie fixa la pendule au mur en se disant qu’un jour, la vérité éclaterait, et que personne ne pourrait plus menacer son bonheur.